Comme en 1958, le nouveau président devra réinventer la France en transformant son modèle économique et social.
L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République constitue un événement historique. Elle couronne un extraordinaire blitzkrieg qui vit en moins de deux ans un homme jeune, inconnu des Français, s’émanciper du président qui l’avait fait, créer un mouvement politique de toutes pièces, récuser le jeu mortifère des primaires, écarter le PS et Les Républicains du second tour, puis battre Marine Le Pen. Ce coup de maître électoral reste sans équivalent dans la Ve République. La victoire d’Emmanuel Macron constitue une véritable disruption. Elle marque un changement de génération, de style et d’imaginaire dans le système politique le plus sclérosé et la société la plus bloquée des démocraties développées.
François Hollande laisse la France dans une situation prérévolutionnaire. Et la révolution a aujourd’hui basculé à l’extrême droite. Le modèle économique et social est insoutenable, qui juxtapose 1 % de la population mondiale, 3,2 % de la production, 15 % des transferts sociaux de la planète adossés à une dette publique de 2 150 milliards d’euros. La société cumule les fractures économique, numérique, territoriale, communautaire, générationnelle, éducative et culturelle. Un climat de guerre civile froide s’est répandu, qui mêle la radicalisation des opinions, la montée de la violence quotidienne et les menaces djihadistes. L’influence internationale de la France s’est dès lors effondrée, laissant à l’Allemagne le leadership de l’Union et de l’euro. Tout cela a ouvert un large espace aux populistes, qui ont rassemblé 55 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle.
Emmanuel Macron devra d’emblée trancher le nœud gordien et choisir son camp : soit le côté de De Gaulle, qui sauva l’honneur de la France en 1940, rétablit la république en 1944 et la refonda en 1958 ; soit le côté d’Albert Lebrun – ce président auquel, selon la formule du général de Gaulle, « comme chef d’État deux choses avaient manqué : qu’il fût un chef et qu’il y eût un État »–, qui signa l’acte de décès de la IIIe République en désignant Philippe Pétain comme président du Conseil le 16 juin 1940.
Comme en 1958, il faut redéfinir la politique économique autour de l’offre, repenser la stratégie de sécurité face aux menaces du djihadisme et des démocratures, moderniser l’État, fixer un cap clair pour l’Europe. Et pour cela changer de classe dirigeante. À la différence de 1958, il n’est pas nécessaire de modifier la Constitution, mais il faut remettre la Ve République au service de l’action et des réformes en rompant avec sa dérive vers une monarchie aussi impotente qu’absolue. Il est surtout indispensable de transformer le modèle économique et social, qui génère décroissance, chômage structurel, déficit commercial et surendettement public, alors que la IVe République avait du moins réussi la reconstruction en assurant une hausse de la production de 40 % et des gains de productivité de 5,5 % par an entre 1950 et 1958.
L’équation du nouveau président est tout sauf simple. Il lui faut dégager une majorité parlementaire des décombres de la gauche et de la droite. Il lui faut réinventer l’élite dirigeante dont il est le produit. Il lui faut transformer le modèle français, alors qu’il a fait campagne sur le refus d’une thérapie de choc dont les expériences étrangères montrent qu’elle est la seule à obtenir des résultats. Il lui faut reconstruire l’Union européenne, contre laquelle ont voté une majorité de Français au premier tour.
Rarement dans notre histoire un homme si jeune aura porté des responsabilités si lourdes. Emmanuel Macron doit aujourd’hui devenir l’homme de la nation. Il bénéficiera de facteurs favorables avec l’accélération de la conjoncture économique dans la zone euro et le retour des capitaux internationaux, la dynamique positive que son élection peut déclencher chez les Français, l’amélioration de l’image de notre pays en Europe et dans le monde. Mais il lui faudra s’inspirer de la « mécanique de choc et de vitesse » que de Gaulle voyait au cœur de l’Histoire et de la stratégie pour engranger rapidement des résultats et faire renaître la confiance.
(Chronique parue dans Le Point du 08 mai 2017)